Identité bretonne

La naissance des Nations brittoniques

lundi 8 juillet 2013

 LA RÉSIDENCE DU ROI MORVAN

Le roi Morvan, surnommé Lès-Breiz depuis le Barzas-Breiz, ne manque pas de renommée dans l’histoire de Bretagne, car il est mentionné dans les chroniques franques, dans la Vie de Louis le Pieux du chroniqueur connu sous le nom de « L’Astronome », et il est un protagoniste important dans l’épopée en vers latins à la gloire de l’empereur Louis, par Ermold le Noir.

Les Francs l’appelaient « roi », même si Ermold, poète courtisan, fait une réserve sur ce titre « quia nulla regit (v.1309). Le contexte montre qu’il faut traduire »parce qu’il n’a pas de droit à gouverner quoi que ce soit", ce qui est de la théorie juridique carolingienne. En fait il n’est pas douteux qu’il était le maître de la Bretagne réfractaire au pouvoir franc.

Les textes ne nous disent pas quelle était sa famille, mais une allusion d’Ermold donne une indication : dextera cuius aui nomen in aethra refert (v.1443) « /toi/ dont le bras porte aux nues le nom de ton aïeul ». On peut en déduire que le grand-père de Morvan portait le même nom que lui et était honoré des exploits de son petit-fils homonyme. Ermold met ces paroles dans la bouche de l’épouse de Morvan, qu’il n’avait sûrement pas entendue, mais il écrit avec assez de précision pour que les commentateurs pensent qu’il avait recueilli le témoignage de Witchar, l’envoyé de Louis le Pieux auprès de Morvan.

Witchar était un abbé qui possédait, non loin des frontières de Morvan, des biens qu’il devait à la faveur de l’empereur (illius propter fines regis habebat opes munere caesareo - v. 1344-1345). On a compris de ceci que ces biens étaient en Bro-Weroc, partie de la Bretagne alors au pouvoir de l’empereur. Le nom de Witcharus est traduit en français par « Witchaire », comme un nom franc (comme « Lothaire » pour Lotharius), or ce nom n’est pas expliqué par le germanique (où, par contre, on a Witgarius et Wicharius, « blanc-javelot » et « armée de combat ». Il est vraisemblable que Witchar est la germanisation d’un vieux-breton *Wid-car (cf. en Galles Widgar, Annales Cambriae, anno 630), composé de wid « arbre » et de car « parent ». Cet abbé serait donc un breton d’obédience carolingienne, ce qui explique qu’il se soit entretenu avec Morvan sans interprète (cunctos iubent procul esse ministros, uocibus alternis mutua uerba sonant « ils ordonnent que tous les serviteurs s’éloignent /et/ l’un après l’autre ils échangent leurs paroles ».)

Witchar (ou Widcar en breton) était donc très bien placé pour être informé et si le grand-père de Morvan portait ce même nom, cela devait avoir une valeur dynastique.

OÙ ETAIT LA RÉSIDENCE DE MORVAN ?

Un autre enseignement important peut nous être donné par la résidence du « roi ». « La plupart des historiens la situent au lieu-dit Mine(z)-Morvan »montagne de Morvan", en Langonnet, sur la rive ouest de l’Ellé. Cela est d’autant plus étonnant que les mêmes historiens admettent que le Bro-Weroc, dont la frontière était l’Ellé, était au pouvoir des Francs. Cela voudrait dire que Morvan aurait résidé exactement sur la limite d’un territoire occupé par l’ennemi. Or Ermold dit expressément que les troupes franques ont parcouru la campagne bretonne avant d’approcher la résidence royale.

Cette résidence est décrite par Ermold :

Est locus hic siluis, hinc flumine cinctus amoeno
sapidus et sulcis atque palude situs
intus opima domus, hinc inde refulserat armis
forte repletus erat milite seu uario.
Haec loca praecipue semper Murmanus amabat
ili certa quies, et locus aptus erat. (v. 1346-1351)

"Le site est entouré d’un côté de forêts, de l’autre d’un fleuve plaisant, d’enceintes, de douves et d’un marais.

Au milieu se trouve la riche demeure, de là elle avait montré l’éclat des armes, elle était pleine d’une armée forte et diverse. Morvan préférait toujours ces lieux à tous autres, là le repos était assuré et le séjour confortable.

Plus loin Ermold fait encore dire à Witchar s’adressant à Morvan :

Nec te decipiant saltus tremulaeque paludes
cum nemore et uallo sit tua septa domus.
(v. 1490-1491)

« Ne te fie pas aux bocages et aux marais perfides, à ce que ta demeure est entourée d’une forêt et d’un rempart. »
Les descriptions dues à Witchar sont affirmées exactes :

Notus erat sibimet rex, domus atque locus. (v. 1343)
« Il connaissait en personne le roi, sa maison et son site. »

Or la description ne correspond sur aucun point au Mine Morvan en Langonnet. En ce dernier lieu on n’a mentionné ni enceinte, ni douves, ni maison forte. L’Ellé, à cet endroit, est un ruisseau rapide au fond d’un vallon et non « un fleuve plaisant ». Il n’y a pas de marécage à proximité. Inversement, le Mine Morvan est une colline et la caractéristique de ce secteur est un relief accidenté, ce qui est absent de la description d’Ermold. On peut donc à coup sûr éliminer le Mine-Morvan comme résidence du roi.

LA DYNASTIE DES MORVAN ET LEUR REPAIRE

Nous avons vu que Morvan apparaissait aux VIIIème et IXème siècles comme nom héréditaire. Or ce nom se retrouve au XIème et XIIème siècles comme nom des vicomtes du Faou (Cartulaire de Kemperlé. N.B. Il n’y a pas eu de Morvan vicomte de Léon ; Morvan du Faou y est mentionné conjointement avec Guiomarch du Léon).

Il est donc normal de considérer qu’il doit s’agir de la même famille.

Bien que le nom du Faou (anciennement En Fou) ait été dès le Moyen-Age interprété comme évolution du latin fagus « hêtre », il ne s’agit que d’une homonymie. Le nom Fow dérive du latin fouea et signifie « la tanière », « le repaire ». (De même en gallois ffau, cornique fow, d’où le nom du port de Fowey en Cornwall.)

Un tel nom prend déjà du sens lorsqu’on le rapproche de la description d’Ermold. L’ancien château du Faou, au lieu-dit « La Motte », à 0,5km de l’église actuelle, implique des retranchements. La forêt est encore présente : le quartier de Toull-ar-C’hoad (« le trou du bois ») jouxte La Motte à l’est et est prolongé par Koad-ar-Maner « le bois du manoir ». Les marécages sont attestés par le nom de Gwern « aulnaie », quartier situé à moins de 1km au sud de La Motte, et toute la paroisse de Rosnoën, au sud et au sud-est, alterne les Gwern avec les Koad. Au nord la Rivière du Faou coule dans un vallon inondable qui devait prolonger l’estuaire il y a mille ans. Quant à l’estuaire actuel, il est à marée haute un plan d’eau majestueux appartenant à l’un des plus beaux paysages de Bretagne. La description flumen amoenus lui va comme un gant. Du côté nord de la rivière, à 1km an NW du bourg du Faou actuel, sur une hauteur se trouve le village de Keranroy, c’est-à-dire un ancien Caer an Roue « village du roi ».

Le récit de la campagne de l’empereur franc contre le Roi Morvan ne contredit pas cette localisation, au contraire. Les troupes franques auraient traqué les Bretons sur tout leur territoire :
Iam, Murmane, tuae passim perangrantur harenae
auia lustra patent atque superba domus.

« Déjà, Morvan, tes campagnes ont été parcourues de toutes parts, les repaires inaccessibles et ta fière résidence sont à portée. »

On ne dit donc pas que les Francs ont occupé cette résidence, puisque Morvan, partant au dernier combat, dit à sa femme et à ses serviteurs : Uos seruate domus « Vous, gardez la maison », et qu’après sa mort les Bretons, les enfants et la famille de Morvan vinrent trouver l’empereur pour faire leur soumission, ce sur quoi Louis prend le chemin du retour. Si la résidence royale avait été pillée, Ermold n’aurait pas manqué de le décrire. En même temps on doit noter que si c’était à Prisiac que les Francs s’étaient arrêtés, sur la rive est de l’Ellé, et donc en territoire vannetais, les Francs ils n’auraient pas parcouru les campagnes de Morvan. Les troupes franques devaient donc être en territoire cornouaillais, mais à une certaine distance du Faou, comme on l’a vu précédemment.

CONCLUSION

L’étude rigoureuse des textes montre avec évidence que la résidence du roi Morvan était à l’extrémité sud-ouest du pagus, à 5km du cours de l’Aulne, où l’on trouve d’ailleurs un manoir de Kermorvan (*Castrim Mormani). Situation significative pour une famille marquée par une origine des Bretons du Nord et de tradition maritime.

Il en résulte aussi qu’au début du IXème siècle la famille des souverains du Faou a occupé en Bretagne Occidentale une position dominante. La mort de Morvan a compromis cette position au bénéfice des souverains de Kemper et du Léon voisin. Les Morvanides ont encore pu fortifier la Roc’h-Morvan (en français « La Roche Maurice »), pour assurer leur frontière sur l’Elorn, mais cette forteresse devait bientôt devenir léonaise, tandis que la Châtellenie de Daoulas devenait au XIIème siècle un condominium du Léon et de la Cornouaille. La vicomté du Faou était diminuée et Chateauneuf devenait sans doute sa capitale.


Accueil | Contact | Plan du site |